❧ [La Description de l’utilité des Lettres] Chapitre III.
Voyla comment les Lettres de hault pris
Un fort heureux commencement ont pris,
Voyla comment l’Escriture est utile
Qui ne rend point son culteur inutile,
Voyla comment avons l’art précieux
D’Impression, qui s’espand en tous lieux.
Il nous appert des vertus héroiques
Desquelles sont tant dignes les antiques
Qui de la Lettre estoient conservateurs
Et des vertus prudens observateurs.
Mais regardons aux hommes de nostre age
Qui ont receu de ces choses l’usage,
Pour contempler s’ils n’ont pas merité
D’estre exaltez par la postérité
Comme les vieux, qui sont rendus notoires
Par la leçon des antiques hystoires.
Certainement, à bien bon droict je tends
A ne louer moins ceux de nostre Temps
Qui ont flori en la litérature
Par le moyen, par providence et cure
De
ce grand Roy Françoys, premier du nom,
Duquel sera immortel le renom,
Car s’il est clair qu’en guerre ses haults gestes
Sont trop plus longs que les loix des Digestes,
Il a conjoinct au faict de l’armature
Perfaictement science et l’Escriture,
Car devant luy en toute obscurité
La Lettre estoit, et sans auctorité.
Devant qu’il eust la Royalle Couronne,
Obscure estoit toute science bonne.
Mais aussi tost que
ce Roy gracieux
Vint à regner par un destin des Cieux,
La Gaule fut de tous arts exornée,
Et dessus tout aux Lettres adonnée.
Mesmes Paris, par la grand providence
De
ce bon Roy, a mis en évidence
Hebrieu, et Grec, Latin pareillement,
Lesquelz on lict à tous publiquement.
Et pour monstrer que sa grandeur royalle
Aux bons Espris portoit amour loyalle,
Les Imprimeurs si bien entretenoit
Que bon loyer et gages leur donnoit,
Faisant chercher par tout les Libraries
Pour enrichir nobles Imprimeries.
Outre, il avoit les desirs incitez
D’entretenir aux universitez
Doctes Lecteurs, tant en livres de loix
Qu’on voyt florir par son Regne Gauloys,
Qu’autres lecteurs qui moins n’ont merité
Pour enseigner Lettres d’humanité.
Durant son cours, hommes de bons Espris
Ont esté veus, doctes et bien apris,
Entre lesquelz, de
Guillaume Budée
La renommée est si fort collaudée
Qu’elle n’est pas en puissance de Mort
Qui seulement le corps ruine et mord,
Car nous debvons avoir ceste asseurance
Que son Sçavoir la perle estoit de France
Et ses Escrits, qu’on lict soirs et matins,
Sont immortels, autant Grecs, que Latins.
Semblablement bonne matiere j’ay
D’éterniser
Guillaume de Langeay
Le viceroy en Piedmont, car Minerve
Los immortel dès long temps luy réserve.
Car bien qu’il fust Coronnal de Gendarmes,
Et noblement exercité aux armes,
Si avoit il les Lettres et l’estude
Perfaictement en sa sollicitude,
Avec l’honeur de libéralité
Dont son bruit tend à immortalité.
Autres plusieurs ont eu bruit florissant
Soubs
ce grand Roy Françoys, Roy trespuissant
Et treschrestien, auquel fault graces rendre
Dont nous voyons tant les Lettres s’espandre.
Pour son trespas ont ploré les neuf Muses,
Le regrettant pour ses graces diffuses ;
Tant ont ploré pour luy (chose certaine)
Que les pleurs ont faict croistre leur fontaine.
Mais l’Eternel, qui ha toute puissance
Pour nous donner certaine cognoissance
De son vouloir et pourvoir aux proffits
De ce Royaume, a couronné
son fils
Divinement, du nom qui tant bien sonne
Sçavoir :
Henry, dont l’univers s’estonne,
Veu que desja il surmonte Nestor
En sapience, et aux armes Hector.
Ce Roy bénin, de
troys freres gardé,
De Dieu (qui a au proffit regardé
Du bien public) faict patente ouverture,
Combien noble est sa Royalle nature
Qui par instinct naturel ayme ceux
Qui ne sont pas aux Lettres paresseux,
En leur usant de don et bénéfice
Pour l’entretien du strudieux office,
Et croy qu’il n’est Prince vivant au Monde
Qui à aymer les Lettres plus se fonde,
Et les vertus, que ce Roy magnanime
Dont la grandeur à escrire m’anime
(Long temps y a), ses tant vertueux faicts
Divinement accomplis et perfaicts.
Et pour monstrer que sa perfection
Les Lettres prent en grand dilection,
Et cognoissant que Lettres espandues
Doibvent bien mieux d’un Prince estre entendues
Que du commun et peuple mécanique,
Ce Roy tant bon, prudent, et magnifique,
Benin, clément, ne tend à autre fin
Fors que
son noble et illustre Daulphin
Aux jeunes ans reçoive la Doctrine
Où sagement
Danése l’endoctrine -
Homme, pour vray, de réputation
Par son Sçavoir plein d’admiration,
Qu’à Ciceron comparer proprement,
Ce ne seroit errer en jugement -
Dont à bon droict toute la Gaule espére
D’avoir un jour felicité prospére
Par
cest enfant Royal, qui de vertus
Aux jeunes ans ha les sens revestus.
Certainement, la France plantureuse
En bons Espris est grandement heureuse
Dont les plus grands Princes sont amoureux
De la vertu qui tant rend l’homme heureux,
Et qu’elle voyt les Seigneurs magnanimes
D’aymer la Lettre avoir honeurs sublimes,
Entre lesquelz
ce grand Duc de Nevers
Espand son nom par le Monde univers,
Portant faveur aux Lettres et Lettrez
Et ceux qui sont de vertu pénétrez.
Taire il ne fault la grace et excellence,
De
ce bon Roy, plein de bénévolence,
Roy de Navarre et Prince Vandomoys,
Tant estimé d’une commune voix,
Qui sa vertu nous mect en évidence
De jour en jour, et sa haulte prudence.
Taire il ne fault
ses freres excellans,
Divinement aux vertus vigilans,
Entre lesquelz ceste rare sagesse
De
monseigneur d’Anguian, et largesse,
Monstre combien la lettre il favorise,
Ce qui son nom honorable éternise.
Taire il ne fault
ce Gauloys Connestable
Plein de Sçavoir et prudence fort stable,
Auprès duquel sont
ses bien néz enfans,
Meurs et rassis, en graces triomphans.
Qui ne cognoist
ce grand Prince de Guise
Qui les vertus avec les armes prise,
Et que l’on doibt comme un Mars estimer
Quand il se vient virilement armer ?
O, ma Thalie, il fault sans intervalle
Porter honeur au
noble Duc d’Aumale
Qui, triomphant au faict de l’Armature,
Porte faveur à la littérature !
Clio, veux tu mettre en ingrat oubli,
Ce sage Duc d’Estampes, annobli
D’une bonté excellente à merveille,
Qui aux Lettrez tousjours preste l’aureille ?
Certes, sa tant libérale doulceur
Des Cieux haultains le rendra possesseur.
Les grands Seigneurs de France en général
Sont vertueux, mesmes
un Admiral
De Chastillon, Tige de Coulligni,
De dons divins est tant riche et garni
Que la Mort n’est d’assez forte puissance
Pour ses vertus effacer d’oubliance.
Quant aux Prélats de la France, et pasteurs,
Il y en a beaucoup d’observateurs
De hault Sçavoir et de bénignité,
Entre lesquelz la doulce humanité
D’un
Cardinal de Chastillon mérite
Par successeurs louange non petite,
Car de tout temps sa noblesse bien née
Est tellement aux vertus adonnée,
Qu’à ceux qui sont amoureux de Sçavoir
Distributeur il est de son Avoir ;
Mesmes il est plein de science telle,
Que son renom en louange immortelle,
Par l’univers tousjours se publira
Tant que le beau Croissant resplendira.
Si je vouloys en poëtique metre
Des bons Espris tous les noms ici mettre
Qui sont en France en renom florissant,
Tout le papier ne seroit suffisant
Que l’on peut voir en ceste Académie,
Paris, qui est de tout vice ennemie.
Tant seulement de
Ramus j’escriray,
Lecteur du Roy duquel bien je diray
Que Démosthene oncques n’a sceu mieux dire
Dans le Sénat, que
Ramus peut escrire.
Au temps passé, le sexe fémenin
(Qui de nature est fort doux et bénin)
A triomphé aux Lettres, tellement
Que le renom vit eternellement
De mainte Dame en sçavoir accomplie,
Ainsi qu’on peut lire de Zénobie,
Qui jadis fut la Royne d’Oriant,
De qui les Dents monstrées en riant
De leur blancheur passoyent les Margarites,
Outre les dons des Lettres et mérites
De son sçavoir ; mais en la riche Court
Du
Roy Henry (dont par tout le bruit court)
Une autre Royne est de meilleure grace,
Qui le renom de Zénobie efface.
D’une doulceur incomparable et saincte
Par cent vertus desquelles elle est ceincte,
Car son Esprit, de grace environné
Et aux vertus sainctement adonné,
Ayme la Lettre en grand perfection,
Et aux sçavans porte dilection.
O Calliopé, entre toutes tes Seurs
La plus perfaicte et pleine de doulceurs,
Recite un peu la grandeur, le mérite
De ceste fleur tant rare,
Marguerite !
Fille de Roy d’incomparable pris,
Et seur d’un Roy où tout bien est compris,
Des mains de Dieu c’est l’image taillée
Pour estre à tous pour exemple baillée.
C’est une fleur qui passe toute fleur
Tant elle soyt de plaisante couleur.
C’est une Muse, une Minerve attique,
Et préferée à la Diane antique,
C’est une vierge en cent graces féconde,
C’est une Nymphe à nulle autre seconde,
C’est un Miroir de vertu, de sagesse,
De saincteté, de doulceur, de largesse
Et qui tousjours veult cognoissance avoir,
Et de la Lettre et des gens de Sçavoir.
Chascun cognoist
la Cousine germaine
De ceste fleur, c’est
ceste Royne humaine
Des Navarroys, joincte à
ce Prince beau
Des Vandomoys, des armes le flambeau
Et des vertus, c’est une grand Princesse
Qui d’imiter la saincteté ne cesse
De ses Majeurs, parquoy son noble nom
Resplendira en immortel renom.
De Nivernoys la prudente Duchesse
Qui en vertu mect toute sa richesse,
A dès long temps monstré que de vertu
Son noble esprit est sainctement vestu :
C’est
de Bourbon la Marguerite, aymée
D’
un prince grand de haulte Renommée,
C’est celle là à qui toutes les Muses
Donnent honeur et louanges diffuses.
Des Escoçoys la Royne jeune encore
(Qu’une beauté admirable décore)
Est une perle en Sçavoir tant exquis
Qu’elle a un los perpétuel acquis,
En s’éxerçant par grand sollicitude
A la vertu, aux Lettres, à l’estude
Des bons autheurs, dont
Claude Milot, sage,
Son précepteur, luy en monstre l’usage,
Que je compare à ce Romain Hortense
Et en cela n’est faulse ma sentence.
Et
ceste fleur du tige de Ferrare
(A qui vertu los immortel prépare)
Joincte à
ce Duc de Guyse, tant rempli
Des dons haultains où il a pris son pli,
Monstre à chascun qu’en louange éternelle
Et ensuivant
la grace maternelle,
Elle ha l’Esprit des Lettres amoureux
Pour pervenir au lieu des bien heureux.
Or tous ces dons de graces et science
Dont anciens ont eu l’expérience
Et qui nous sont par hystoires cognus,
N’eussent esté acquis, ni obtenus
Sans l’art exquis des Lettres, d’Escriture,
D’Impression, et sans avoir mis cure
De conserver les Livres excellans
En quoy estoient noz Majeurs vigilans.
Mais aujourdhuy ceste Cité illustre
Dicte Paris, de toute autre le lustre,
Emporte bruit sur les antiquitez,
Par les propos cy dessus récitez :
Par le bien faict du
Roy tant magnanime
Françoys, premier du nom grand et sublime,
Semblablement par le vouloir certain
Du
Roy Henry vénérable et haultain.
Je pense bien que plusieurs qui liront
Ce que j’escry de nos Princes, diront
Que, tout ainsi qu’un flateur, je me range
A les louer de trop haulte louange,
Mais je respon que tout ce que j’ay dict
Est véritable et que sans contredict
Noz Princes sont des Lettres amateurs
Autant que ceux qui en sont inventeurs.
Fin.